Décolonisations...

Publié le par Cumulolingus

Je viens d'écouter l'interview de Pierre Nora du 4 mars à France Inter. Il parlait de célébrer Napoléon (et pas la Commune) car l'empereur aurait emmené avec lui la Révolution partout en Europe...
 
J'ai eu alors une pensée pour la bataille de Leipzig, dont j'avais appris l'existence en visitant le monument qui lui est consacré dans cette ville, le Voelkerschlachtdenkmal (monument de la "Bataille des Nations"). En France, cette bataille est éludée des manuels scolaires au profit de la victoire de Napoléon à Iéna.
La caractéristique de cette bataille est la raison qui fit perdre l'armée française : les Saxons, alliés à Napoléon, retournèrent brusquement leurs armes contre les troupes napoléoniennes. Ils s'étaient alliés à lui alléchés par les promesses qu'il faisait partout : la perspective de l'autodétermination des peuples. Les Saxons, menacés par l'expansionnisme prussien, y avaient vu une possibilité de garder leur intégrité.
Néanmoins, en observant ce qui se passait dans les régions "libérées" par Napoléon, ils auraient compris que l'Empereur mettait sur le trône ses généraux et des membres de sa famille.
L'état-major français fit sauter un pont pour éviter aux armées ennemies, arrivant de l'autre côté, d'atteindre le gros de ses troupes. Il sacrifia du même coup au moins un tiers (j'écris de mémoire) de ses effectifs bloqués de l'autre côté du fleuve ou mourant dans les eaux. Suite à cela, l'expression "Saxon" aurait été utilisée pendant un siècle en français dans le sens de "traître" (on la trouve notamment dans la pièce de théâtre Cyrano de Bergerac).
 
Difficile de ne pas faire un parallèle avec ce qu'a été par la suite la colonisation : promettre des droits à des peuples puis les dominer au nom de beaux principes restant lettres mortes.
Si Napoléon est pour moi un grand homme, c'est surtout en tant que précurseur de la colonisation française. Il a contribué à pervertir les valeurs de la Révolution française et montré à quel point la France peut jouer de ces principes généreux pour exploiter d'autres nations.
 
La découverte d'un excellent documentaire il y a quelques jours m'a fait voir une continuité entre l'utilisation des valeurs de la Révolution française par Napoléon et les monarchies et républiques qui lui ont succédé : une action caractérisée par la duplicité.
En théorie : ils se revendiquent du droit des peuples à disposer d'eux-mêmes lorsqu'ils sont en présence d'un peuple menacé par un de leurs concurrents, du droit à l'instruction ou de tout autre droit inspiré des idéaux des Lumières. En pratique : ils renforcent leurs positions, agrandissent leur zone d'influence, utilisent les ressources d'un pays étranger, sans tenir leurs engagements.
Cette duplicité devient une odieuse manipulation lorsque le groupe qu'on a trompé en vient à demander des comptes, à protester ou à se révolter. Là, sous prétexte que l'autre s'oppose aux défenseurs théoriques de valeurs jugées universellement bonnes, cet autre devient accusé d'être un agent de la barbarie, de l'obscurantisme, un adversaire de la modernité. Il mérite alors la mort.
D'autres appelleraient cette manipulation impérialisme occidental, ce qui reviendrait au même.
 
Dans le documentaire Décolonisations : Du sang et des larmes, réalisé par Pascal Blanchard et David Korn-Bzoza et sorti cette année, j'ai beaucoup aimé le côté surprenant des archives. Je n'avais jamais vu aucune de ces images. Leur côté cru et sans fard aussi. J'ai été très touché par les interviews croisées entre une ancienne « terroriste » du FLN et une ancienne victime, des descendants de colonisés et d'anciens soldats de la puissance coloniale, le tout sur un ton montrant qu'un travail de résilience avait visiblement été fait par ces témoins.
Dans la première partie, La fracture (1931-1954), il est beaucoup question de l'Indochine, mais pas seulement. Dans le second volet, La rupture (1954-2017), on y traite de l'Algérie, mais ici encore pas seulement. On y évoque aussi Madagascar, le Cameroun, la Guinée, le rôle de De Gaulle et d'anciens grands résistants au nazisme devenus de zélés colonisateurs (je pense entre autres à Gaston Defferre), la France faisant des bombardements au napalm et fusillant des colonisés qui venaient réclamer le solde qu'on leur avait promis s'ils acceptaient de se battre avec la France contre l'Allemagne !
 
Parmi un certain nombre de phrases qui m'ont fait forte impression, j'en retiens deux :
 
- La réponse que fit Ahmed Sékou Touré à De Gaulle. Alors que ce dernier faisait un de ces fameux tours de passe-passe de l'impérialisme à la française en proposant un référendum sur l’établissement d’une Communauté franco-africaine (pour garder la mainmise sur l'Afrique, le président du Conseil du gouvernement de Guinée avait vexé le général en lui répondant : « Il n’y a pas de dignité sans liberté : nous préférons la liberté dans la pauvreté à la richesse dans l’esclavage. »
Ahmed Sékou Touré a mal tourné par la suite, mais c'est une autre affaire...
 
- La seconde phrase forte qui m'a marqué était d'Aimé Césaire : « Une civilisation qui ruse avec ses principes est une civilisation moribonde. »
Là je suis resté sonné quelques secondes tellement c'était d'une justesse implacablement... percutante !
Décolonisations...
 
1ere partie : La fracture (1931-1954) >ICI<
 
 
2e partie : La rupture (1954-2017) : >ICI<
 
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